The concrete world, the eternal idea

texte : Patrice Joly

exposition personnelle, Zoo galerie, Nantes, 2018

commissariat : Patrice Joly

Déjà présenté l’année dernière à Zoo galerie dans l’exposition collective wrapped / unwrapped où il avait présenté plusieurs pièces, Julien Quentel revient cette année en solo à Zoo galerie où il occupera l’ensemble de la galerie et du patio de Delrue.

La pratique de Julien Quentel s’attache plus au dénuement des objets qu’à leur côté séducteur, l’artiste s’ingéniant à révéler par de subtils traitements et déplacements, parfois à la limite du visible, des directions inattendues. Une des trois pièces présentées l’année dernière, Hermès retrouvé, faisait autant référence à une mythologie disparue qu’à sa récupération par une célèbre marque d’accessoires, croisant discrètement, grâce à l’usage de l’adjectif retrouvé, l’orbite proustienne : cette pièce résumait la « méthode » Quentel qui suggère un récit complexe concernant les œuvres qu’il élabore, inversement proportionnel à la longueur de leur titre, révélant l’ampleur insoupçonnée de leur construction, soit une espèce de « storytelling de l’objet ».  Sa Shoebox in Red Vermillon participait du même principe, les titres de ses pièces

font penser à des titres de livres, ils esquissent des histoires énigmatiques et se moquent au passage des marqueurs de la mode : le vermillon de la boîte de chaussure dont il est question renvoie aux fameux souliers dont s’affublent les stars lorsqu’elles arpentent la célèbre moquette lors des jours de festival, mais le rouge de la boîte de l’artiste reste invisible, à l’état de fantasme visuel —contrairement aux dessous des escarpins qui doivent apparaître par intermittence pour mieux exciter la foule des commentateurs— il reste ici confiné dans un secret que seul le langage trahit. Le vrai luxe c’est de pouvoir s’abriter derrière le verbe. En revanche pour l’exposition à Zoo galerie, et comme pour contredire tout ce qui a été dit auparavant, les pièces exposées ne portent pas de titre, l’artiste voulant déjouer cette destination précise, trop précise, qu’assigne un titre à une œuvre. Cela fait partie d’une réflexion sur le statut des œuvres que nous avions déjà évoquée dans l’exposition wrapped/unwrapped avec l’idée que ces dernières ne sont jamais complètement achevées, qu’elles sont toujours en

transit, que ce qui est montré dans une exposition n’est que l’état d’une pièce ou d’une réflexion artistique à un instant t (partant aussi du constat que la majeure partie de sa « vie », l’œuvre d’art, si elle n’est pas achetée et déployée sur le mur d’un collectionneur ou la cimaise d’une collection permanente, restera emballée dans du bullpack et stockée dans une réserve…). Cela n’empêche que les nouvelles pièces de The Concrete World, spécialement produites pour l’occasion, prolongent cette idée de récit induit par leur forme et leur charge d’objets du quotidien, et qu’une modification mineure, un ajout, une repeinte, une « rigidification » peut soudainement transformer leur destination première, les métaboliser différemment. Ainsi de ce tuyau d’arrosage jaune « verticalisé », arrêté brutalement à 10 cm du sol, suspendu en plein vol donc, il devient dès lors la mesure du lieu, souligne son volume, sa hauteur, comme une espèce de gabarit poétique de l’espace ; ou encore cet alignement de valises jumelles, fichées d’une ampoule LED au beau milieu de leurs chromes et dont la lumière vient jouer avec

le cerclage métallique, comme d’improbables luminaires… Parfois, ce sont des flacons fichés dans le mur ou le sol qui semblent venir désorienter l’espace, le reconfigurer, tels des panneaux indicateurs insolites, objets soudainement tirés de leur inanition. Quant au lit de camp accroché à une colonne de la galerie : défi à la pesanteur, désir de hamac ? Tout ce que l’on peut dire c’est que Julien Quentel n’aime pas tellement la prédestination des objets qu’il s’empresse de démanteler.

L’artiste ne parle pas d’installation à propos de ses œuvres, il préfère dire qu’elles créent des situations, renvoyant de fait à un langage cinématographique, à un scénario non stabilisé, capable d’évoluer à tout moment. Les œuvres de Julien Quentel viennent littéralement resituer un lieu, lui donner une nouvelle orientation, et quand bien même elles ne portent plus ces titres si chargés de récit potentiel, elles n’en demeurent pas moins pleines de sens et de « contresens », histoire de ne pas se laisser abuser par les apparences.