Une heure en moins

texte : Vanina Andréani

XXIème atelier internationaux du Frac des pays de la Loire

in catalogue 21e ateliers internationaux, 2008

UNE HEURE EN MOINS

 

C’est une idée bien précise qui a guidée l’invitation de Julien Quentel cette année au Frac des Pays de la Loire, celle d’amener les publics de l’exposition des XXIe Ateliers à approcher de plus près l’expérience que vivent les artistes des Ateliers Internationaux. Nous souhaitions en effet rendre compte de ce temps de recherche, de création mais aussi de vie qui caractérise une résidence. C’est en tant qu’artiste preneur de son et metteur en son, que Julien Quentel est intervenu, la commande que nous lui avions passée étant basée sur une captation de ces quelques dizaines de journées qui allaient s’écouler du 1er septembre au 10 novembre 2007.(1)

 

RÉCIT D’UNE RÉSIDENCE

 

Les artistes n’arrivent pas tous en même temps. Julien Quentel les rencontre au fur et à mesure pour leur exposer son projet. Tout d’abord, il se propose d’être le preneur de son d’une forme conçue par un seul ou plusieurs résidents. Aux artistes de formuler leurs envies qu’elles soient en lien avec l’oeuvre qu’ils sont en train de réaliser, avec leur quotidien au Frac ou avec leur univers musical… C’est pour Julien Quentel une façon de poser les bases de la rencontre.

Des journées sont définies pendant lesquelles il se met à la disposition des artistes qui le souhaitent pour enregistrer ces pièces sonores. Il laisse même la possibilité à ceux qui le désirent de s’enregistrer seul. Au total, ce sont 11 pièces sonores qui seront réalisées avec les artistes des XXIe Ateliers et Axel Huber invité dans le cadre d’un Instantané.(2) Chacune des réalisations renseigne à la fois sur la démarche de l’artiste, sa personnalité et ses intérêts. À l’image de la pièce sonore Birds are in Africa Now où

l’on entend Trixi Groiss au lever du jour faire la vaisselle, préparer son café et nous dire qu’elle apprécie ces matins calmes sur fond de lecture à haute voix de Kirkegaard par Will Potter (3). Car vivre est une affaire de chaque instant et chaque instant change perpétuellement. John Cage

Le temps passe, les artistes et Julien Quentel apprennent à se connaître. C’est ainsi qu’apparaît dans le projet cette idée du « comptage » donnée par certains ceux qui comptent les jours passés en résidence, ceux qui comptent l’argent qui leur reste, et Axel Huber qui demande aux quatre artistes alors présents de recopier la même note de bar sur une toile vierge pour l’exposition qu’il prépare salle Mario Toran. Jusque-là les enregistrements proposés par Julien Quentel avaient permis de mieux se connaître, maintenant les artistes allaient être invités à interpréter «une partition» écrite pour eux.

 

Le temps pourrait initialement n’être rien d’autre qu’un cadre à occuper. Michael Nyman

 

UNE HEURE EN MOINS… [POUR 8 PERFORMERS]

JE VOUDRAIS QUE VOUS VOUS SOUVENEZ DE VOTRE PREMIER JOUR EN RÉSIDENCE, QUE VOUS COMPTEZ TOUS LES JOURS QUI SE SONT ÉCOULÉS DEPUIS JUSQU’A AUJOURD’HUI

JE VOUS DONNE UNE HEURE, UNE HEURE DE VOTRE HORLOGE INTERNE.

[COMMENCEZ PAR DONNER VOTRE NOM, VOTRE LIEU DE NAISSANCE, AINSI QUE VOTRE LIEU DE VIE.]

 

Cet énoncé formulé par Julien Quentel va être assez « ouvert» pour que chaque artiste se l’approprie. Écrite pour 8 «performers », la pièce va être «jouée » par la moitié d’entre eux : Trixi Groiss, Ingrid Maria Sinibaldi, Will Potter et par

téléphone par Lara Schnitger qui n’a pas pu venir en France pendant les Ateliers. Julien Quentel conçoit donc par l’inscription des artistes dans le projet, une pièce en trois parties :

— Les Résistants (Trixi Groiss, Ingrid Maria Sinibaldi, Will Potter)

— L’Exilée (Lara Schnitger)

— Les Disparus (Florian et Michaël Quistrebert, Georgia Nelson, Diango Hernàndez)

«Les Résistants» dont il est question ici, superpose trois témoignages en trois langues différentes, l’allemand de Trixi Groiss, le français d’Ingrid Maria Sinibaldi et l’anglais de Will Potter. Les trois voix rentrent au fur et à mesure, pour à la fin constituer un ensemble sonore cohérent, une scansion rythmée de chiffres et de mots mêlés. Chaque artiste s’approprie l’énoncé de Julien Quentel avec sa propre notion du temps. C’est une mesure d’une belle lenteur qu’installe Trixi Groiss, avec ses poses méditatives et ce silence «habité » par sa respiration et ses gestes. Elle semble vouloir prendre possession de cette heure donnée et occuper ce temps dont elle n’a pas notion mais qu’elle essaie néanmoins de contenir. Alors elle évoque ces week-ends qu’elle apprécie parce qu’aucune voiture ne vient se garer devant la porte de sa chambre « no parking, no visitor very good». Cette phrase qui se répète vient instaurer un rythme dans son récit qui s’étire.

Entrée d’Ingrid… fracassante. Il sera question avec elle de narration, de la mise en forme d’une histoire de sa résidence. Tout commence par sa très belle façon de nous faire revivre son arrivée le 3 septembre à Carquefou. Le récit s’enclenche qui mêle vie privée, émotions, interrogations et doutes sur le travail en cours. Ou plus matériellement, l’artiste liste ses occupations du jour « 58 le jour des photocopies et aussi de Leroy Merlin » ou pour clore «si je ne me suis pas

 

plantée, samedi 10 c’est le numéro 69 ».

«I was here. I was in Carquefou». Will Potter en quelques minutes va indiquer de façon presque détachée ses jours de présence ou d’absence. Cette énonciation basée sur la répétition est formulée avec rapidité et précision. Accélération, le temps prend une autre mesure.

À la fin, trois horloges intérieures se confondent comme une musique survenant comme de son propre accord, sans l’assistance d’un maître, projetée par des forces naturelles.

Chez Julien Quentel, le montage ou plutôt les montages sont d’une grande importance. Plusieurs formes ont été données à cette pièce, mais la définitive, celle que l’on peut écouter ici prend le parti de les réunir tous à la fin. «À la fin, parce qu’à la fin comme le dit Will «I am here», je suis là, nous sommes là, c’est le jour où nous enregistrons, c’est ce qui nous réunit».(5)

 

(1) La résidence de Julien Quentel a été organisée dans le cadre d’un partenariat avec HUB, collectif nantais

(2)L’Instantané (65) d’Axel Huber s’est tenu salle Mario Toran du 11 novembre 2007 au 6 janvier 2008.

(3) Les 11 pièces sonores sont en ligne à l’adresse suivante www.fracdespaysdelaloire.com

(4) «Ces enregistrements ont été diffusés en continu par radiodiffusion pendant la durée de l’exposition. Chaque partie durant (conceptuellement) chacune une heure, il était techniquement impossible de faire apparaître les trois parties sur le compact disque audio accompagnant le catalogue. J’ai donc pris la décision d’enregistrer la première partie, Les Résistants, L’Exilée est audible à l’adresse suivante: http://julienquentel.free.fr/ et Les Disparus n’a jamais était enregistrée.»

(5)Julien Quentel, extraits d’un mail en date du 28 janvier 2oo8