Wrapped / unwrapped

texte : Patrice Joly

exposition collective, zoo galerie, Nantes, 2017

commissariat : Patrice Joly

Qu’est-ce qui fait réellement œuvre, à quel moment apparaît-elle, qu’est-ce qui décide de sa forme finale ? Les préoccupations qui animèrent les promoteurs de la sculpture moderne lorsqu’il cherchèrent à définir une œuvre, à appréhender sa réalité intrinsèque, ses déterminations internes, les intentions de l’auteur qui transparaissent plus ou moins dans ce qui est donné à voir au final, ressurgissent un siècle plus tard à travers l’emprise de l’autour des œuvres. Non pas le discours qui les entoure, les légitime et les installe dans leur statut d’œuvre mais, plus prosaïquement, toute l’enveloppe protectrice qui correspond à une augmentation exponentielle de leur propension à circuler et à stagner. Les emballages des œuvres ne sont pas juste de vulgaires bouts de cartons ou de polystyrène protecteur qui maintiennent l’œuvre en état, la préservent des chocs extérieurs dans ses nombreux voyages ou la conservent dans ses longues phases de stockage : bien plus qu’une simple enveloppe matérielle, ils sont devenus au fil du temps et des modifications du mode majeur « d’être au monde » de l’œuvre, sa condition principale d’apparition, puisque, hormis les rares moments ou l’œuvre est  

exposée nue, elle est la plupart du temps enfermée dans son écrin protecteur en bois, bullpack ou autre carton, y compris lorsqu’elle fait l’objet d’un achat par un collectionneur : elle rentre ainsi, extérieurement, dans une espèce de communauté formelle qui la ramène au rang de matériau grand public, banale fourniture de chez Leroy Merlin ou Home Depot…
À tel point que cet emballage qui la contamine et la colonise de plus en plus — à l’instar du discours critique et communicationnel — fait de plus en plus œuvre. Car l’emballage des œuvres — celui qui consiste la plupart du temps en un provisoire qui s’éternise — et sa diversité de matières flashy, translucides tels les bullpack légers, les 50 nuances de gris des cartons recyclés ayant servi à d’autres usages, les scotchs de toutes les largeurs et de toutes les couleurs, forme pareillement un discours qui en dit presqu’autant qu’un communiqué de presse. Les œuvres sont parées comme des individus et, de plus en plus, la distance entre le contenu et le contenant peut se révéler excessivement élevée ; des matériaux sans qualités peuvent être conservés dans des caisses luxueuses, 

accentuant le décalage entre des matières brutes et la valeur marchande de l’œuvre : de fait, c’est bien souvent la qualité du paquetage qui donne le plus sérieux indice de cette valeur. De nombreux artistes dans l’histoire de l’art se sont intéressés à ces « excroissances » qui appartiennent sans appartenir à l’œuvre, qui l’expriment sans user de mots et qui la révèlent par défaut, à l’instar du paratexte des écrits littéraires. De grands précurseurs ont ouvert la voie : le plus fameux d’entre eux est certainement Christo qui, en emballant à tout va bidons, fauteuils, monuments, ponts, montagnes, jusqu’à des îles !, a pointé la formidable puissance de l’emballage et de ce qu’il révèle : en masquant ces objets de plus en plus grands, de plus en plus improbables, Christo a montré bien plus que ce qui était découvert jusqu’alors : le Pont-Neuf est devenu soudainement beaucoup plus élégant et gracieux, il s’est arrondi et a révélé aux parisiens ses formes épanouies : bien sûr l’emballage est une métaphore de l’habillement et la dialectique de découvrement/recouvrement qu’elle induit n’est pas sans convoquer le langage du désir, ce que Christo a parfaitement compris.

Aujourd’hui, de nombreux artistes s’intéressent à ces contre formes, à tout l’attirail de l’emballage, parce que pareillement à l’œuvre qu’ils renferment et protègent, ces matériaux sont séducteurs : ils appartiennent au même continuum matériel et, outre la connotation érotique que recèle l’emballage et le déballage (l’autre nom de l’effeuillage ?) qui participent grandement de cette fétichisation, ils témoignent de l’appartenance des œuvres au grand marché de l’art mondialisé et à l’accélération inouïe de la circulation des œuvres : les Fedex boxes de Walead Beshty ne renvoient plus au travail de l’ouvrier, comme une sorte de sublimation de l’esthétique industrielle, elles témoignent de la désintégration d’un monde, celui de l’industrie au cœur des villes occidentales, de sa délocalisation à l’autre bout de la planète et donc du statut éminemment nomade de la marchandise ; par ailleurs les écorchures et les brisures que subit le colis au cours de ce voyage invisible ne manquent d’évoquer les blessures et les traumatismes bien réels que subissent les voyageurs malmenés que sont le migrants.